Rencontres nocturnes avec la Lune
Franco Raggi
2007
Les images de Raffaella Della Olga soulèvent des questions qui concernent la photographie, le sujet, la lumière et le paysage. Je vais les exposer de façon aléatoire.
La Photographie qui, dans l’imaginaire collectif, enregistre la réalité, revient ici à ses expériences d’origine pour produire une image, pour générer des “figures” ayant une relation originale, indirecte et surprenante avec la réalité, tels les premiers daguerréotypes. Face à l’invasion de la production maison, individuelle et à l’échelle planétaire d’images électroniques et numériques qui remet aux générations futures une avalanche de banalités, le travail de Raffaella Della Olga ramène la photographie à sa nature de procédé objectif en surface mais personnel, capable de produire des images à partir d’une réalité qui en contient d’autres. La réalité est une illusion et la perception visuelle une façon de l’enregistrer, mais toute image ajoute une nouvelle réalité à la réalité de départ et, finalement, celle-ci peut être moins significative que ses simulacres.
Raffaella Della Olga utilise la photographie comme un instrument éclectique qui, au même titre que la peinture, est une technique révélatrice des aspects cachés du sujet. Mais, alors que la peinture est un procédé essentiellement subjectif, la photographie obéit à des principes physiques objectifs sur lesquels on peut intervenir de l’extérieur en jouant sur deux paramètres : le temps et le diaphragme. Les images de Raffaella Della Olga sont surprenantes car elles se placent à mi-chemin entre la photographie et la peinture.
Le travail de Raffaella pose une deuxième question : le Sujet. De l’univers visible, multiforme et confus, Raffaella extrait seulement certaines familles d’objets, utiles et donc dépourvus de toute ambition esthétique : des treillis, des châteaux d’eau, des hangars, en suivant des itinéraires mystérieux choisis sur la base, avoue-t-elle, du processus “chimique”. La chimie n’a peut-être rien à voir, mais le charme du hasard oui. La sélection des endroits est pour Raffaella Della Olga fortuite mais rigoureuse : errer dans la campagne pendant la nuit jusqu’à la “rencontre”. Cette rencontre est aussi un arrêt et le guet comme dans une chasse archaïque où la proie est progressivement enroulée dans un chemin en zigzag ou à spirale, ou même tout droit jusqu’à ce soit porté le coup fatal (“shooting” en photographie). Toutefois ce coup est ralenti, figé rituellement dans un long délai d’attente, de “pose” pendant laquelle on construit, chimiquement, le Sujet.
Raffaella a choisi de travailler sur une présence faible de la lumière, elle fuit le mouvement et recherche la fixité d’archétypes auxquels la lumière nocturne en mouvement donnera ces visages différents et inattendus. Contrainte d’effacer les étoiles, transformées par le temps de pose en des traits blancs incongrus, Raffaella travaille sur une lumière qui n’est pas instantanée mais temporaire et additive ; une lumière qui ne se voit pas, ou plutôt que nous ne voyons pas avec la même intensité, mais que les rapaces nocturnes voient peut-être.
Déplacer la perception dans le champ du non visible, mais pas du non réel, telle est l’opération conceptuelle effectuée par Raffaella Della Olga dans sa propre ir-réalité esthétique, personnelle, ébahie. Dans ce sens-là, le diptyque de la maisonnette, vue à la lumière d’un réverbère et “revue” à la lumière intemporelle de la lune, est éclairant.
Le paysage est une catégorie de la figuration picturale mais ici il apparaît plutôt comme une catégorie de l’esprit dans le sens où, une fois dépassé le sujet en tant que pur accident, l’image transmet un état émotionnel et existentiel différent, produit par la lumière, par le hasard, par le temps et par la chimie photographique qui exclut toute manipulation numérique. Se retrouver face à un paysage qui n’existait pas, mais qui demeure dans un univers temporel et lumineux, produit le sens de dépaysement et de suspension qui me semblent être les caractéristiques principales du travail de Raffaella Della Olga.
Tout le monde sait que les motivations données par les artistes à leur travail ne sont pas toujours significatives et Raffaella Della Olga ne fait pas exception. Ce n’est pas le “pourquoi” mais le “quoi” qui est important et je préfère expliquer Raffaella Della Olga cherchant à capturer ésotériquement la lumière dilatée de la lune ou celle d’un ciel métropolitain noir, capables de produire du sens et de la surprise grâce à un procédé photochimique. C’est alors plutôt son travail qui explique ce que Raffaella est.